Appel à communicationsCes journées d’étude, réparties sur deux jours entre Genève et Lausanne, visent à appréhender de manière conjointe les rapports sociaux et spatiaux dans les trajectoires de vie LGBTQI+ en dehors des centres urbains. Il s’agit d’explorer les spatialités, les pratiques, les caractéristiques, les discours et les répertoires d’action des personnes Lesbiennes Gays Bies Trans Queer Intersexes et plus (LGBTQI+) qui ne sont pas localisées dans les centres des grandes métropoles. En abordant ce thème, nous souhaitons poursuivre le développement des études sur les sexualités en dépassant ce qui nous semble avoir été longtemps un angle mort. En effet, les enquêtes qui lient prise en compte de l’espace avec des sexualités et identités de genre minorisées demeurent situées dans de grandes villes européennes et nord-américaines (Chauncey, 1994 ; Blidon, 2008 ; Leroy, 2009 ; Cattan et Leroy, 2010 ; Giraud, 2014, Bonté, 2021). Le constat est analogue pour les travaux qui explorent les mobilisations collectives LGBTQI+ : ils se centrent sur les marches des fiertés des grandes métropoles ou sur les festivals queer qui y voient le jour (Blidon, 2009 ; Markwell & Waitt 2009 ; Johnston, Waitt, 2015 ; Eleftheriadis, 2018 ; McCartan 2022). De plus, les centres urbains sont théorisés comme des espaces d’émancipation (Eribon, 1999, Louis, 2014), créant une dichotomie forte avec les zones rurales et périphériques. La frontière qui délimite l’intérieur et l’extérieur des centres urbains est éclairée par la norme de la gayfriendliness (Tissot, 2018). Ce concept désigne l’attitude d’acceptation affichée pour les personnes LGBTQI+ par exemple dans le quartier du Marais à Paris. Il s’agit d’un outil de distinction sociale qui trace la limite entre les quartiers qui seraient tolérants envers les personnes LGBTQI+ et ceux qui ne le seraient pas. La seconde catégorie, érigée en antithèse de la gayfriendliness, désigneles banlieues et quartiers populaires qui bordent les grandes villes comme Paris, Londres ou Berlin. Les discours homonationalistes (Puar, 2012 ; Jaunait, Le Renard, Marteu, 2013) reprennent cette dichotomie pour altériser les personnes issues de l’immigration, essentialisées et associées à des espaces comme les quartiers populaires, désignés comme des zones distinctes, supposées obscurantistes (Fassin, 2010 ; Clair, 2012 ; Mack, 2017) et LGBTQI+phobes. Il ne s’agit pas d’homogénéiser les vécus LGBTQI+ des centres urbains pour autant, les codes de ce « milieu » n’étant pas perçus et vécus de la même manière par toutes et tous. Les recherches portant sur les lesbiennes originaires des pays nord-africains, ou sur les hommes gays noirs montrent que les espaces LGBTQI+ ne sont pas dénués de racisme et d'invisibilisation des personnes non blanches, associées à l’hétérosexualité (Amari, 2018 ; Trawalé, 2018). Ainsi, ces journées d’études visent plutôt à renverser la perspective en se positionnant depuis les zones marginalisées et/ou éloignées de la centralité urbaine. Elles ont pour but d’interroger les dynamiques historiques et contemporaines des personnes et groupes LGBTQI+ en les faisant dialoguer avec un positionnement spatial spécifique, extérieur aux centres urbains économiques et politiques. La notion de « provincialisation de l’homosexualité », proposée par le géographe Gavin Brown nous semble particulièrement heuristique pour entreprendre ce chantier (Brown, 2008, 2019). Elle suggère non seulement d’analyser les vies LGBTQI+ dans les villes moyennes et périphériques, excentrées des centres, mais aussi en retour de provincialiser les études sur les vies LGBTQI+ qui sont historiquement basées sur les vécus dans les grandes métropoles (Stone, 2018 ; Bain, Podmore, 2019, 2020, 2021 ; Brekhus, 2003). Quelles similitudes et différences observées dans l’analyse des personnes LGBTQI+, mais aussi des groupes militants (Quéré, 2022) qui émergent des espaces urbains périphériques ou éloignés des centres ainsi que des zones rurales (Annes, 2012 ; Annes et Redlin, 2012 ; Brown, 2015, 2018 ; Giraud, 2016, 2023 ; Quéré, 2018 ; Zanotti, en cours) par rapport à celles du « milieu » parisien ? Comment la prise en compte de ces rapports sociaux et spatiaux permet-elle de redéfinir et de transformer les études sur les expériences LGBTQI+ ? Par ailleurs, la notion de « marge », très mobilisée en géographie et études urbaines, éclaire notre démarche. Penser les zones « en creux » ou envisager des espaces « autres » est possible par l’usage du terme, qui se décline tant socialement que spatialement. Nous adoptons une définition large des marges, entendues comme interfaces en friction et en dialogue avec le centre, mais surtout comme des territoires capables de produire des résistances et des innovations endogènes (Depraz, 2017). Nous invitons les contributions qui décentrent la perspective pour mettre au premier plan les personnes et groupes LGBTQI+ des quartiers populaires, des zones rurales ou péri-urbaines. La prise en compte de la multiplicité des rapports sociaux (de classe, de genre, de race…) qui traversent et façonnent les expériences de ces groupes et individus est particulièrement valorisée. Ces journées d’étude se veulent interdisciplinaires et encouragent les dialogues via des cadres théoriques et des épistémologies critiques divers (études postcoloniales, décoloniales, théories féministes et queer, analyses marxistes) dans les différentes disciplines des sciences sociales. Elles seront l’occasion d’appréhender les enjeux de visibilité et d’invisibilité, de penser des alternatives aux codes de la nouvelle homonormativité (Duggan, 2002 ; Mowlabocus, 2021) et d’envisager la marginalisation sous un prisme social et spatial. Quelles pratiques spatiales et sociales pour les LGBTQI+ qui vivent en dehors des centres ? Quelles modes de vie, quelles formes de mobilisations collectives et quelles manières de faire lieu sont en jeu dans les territoires périphériques, ruraux ou semi-ruraux ? Les interventions pourront s’inscrire dans trois axes thématiques. Les propositions peuvent inclure ces thèmes mais n’y sont pas limitées. Axe 1 : Être LGBTQ+ et vivre en dehors des centres urbains : des modes de vie spécifiques ? Cet axe souhaite interroger les relations entre les minorités de genre et de sexualité et leurs environnements, en explicitant les modes et styles de vie des minorités de genre et de sexualité des territoires périphériques et les pratiques spatiales en découlant. Comment devient-on lesbienne, gay, bi.e, trans, queer en habitant à distance des grands centres urbains ? Quels sont les effets de la marginalisation spatiale et des discriminations raciales sur l’identification homosexuelle ? Comment les normes sociales de genre présentes au sein de ces espaces configurent-elles les pratiques affectives et les représentations, par et sur les minorités de genre et de sexualité ? Dans un premier temps, des communications pourraient revenir sur les notions de mobilité, d’identification et de visibilité qui concernent les populations étudiées. En effet, les mobilités sociales et spatiales sont intimement liées. Les travaux sur les classes populaires, mais aussi sur la gentrification ont montré l’importance de les étudier ensemble (Francou 2017). Dans le cas des personnes LGBTQ+, les mobilités sociales ascendantes impliquent des mobilités spatiales et des prises de distance avec la famille (Rault 2018). Les récits de vie homosexuels partent donc souvent de l’idée d’une « fuite vers la ville » (Eribon 1999). Cet imaginaire s’appliquerait particulièrement bien aux personnes habitant les quartiers populaires du fait de l’homophobie supposée qui y régnerait (Fassin, 2010). Ainsi, nous attendons des communications qui questionnent cette idée : quels sont les motifs qui sous-tendent les déplacements ? Les espaces périphériques sont-ils vus comme des territoires homophobes par les minorités de genre et de sexualité sur place ? Est-ce que les rapports de race et de classe jouent un rôle différencié dans ces trajectoires de mobilité ? En outre, on peut faire l’hypothèse d’une différenciation dans les formes d’identification à la minorité, selon les mobilités sociales et spatiales (Blidon, Guérin-Pace, 2013 ; Rault, 2016). Les LGBTQ+ vivant en quartiers populaires auraient davantage tendance à se représenter la sexualité comme ayant trait au privé (Ravier, 2022). Ainsi, on peut se demander si cette aspiration à l'invisibilité amène à une prise de distance vis-à-vis des identités LGBT+ ? Nous accueillerons volontiers les communications qui tentent de saisir comment cohabitent un rapport critique aux identités LGBTQ+ visibles, et l'entretien de ses désirs et pratiques sexuelles. Dans un second temps, sont encouragées des communications revenant sur la place de la famille, de la religion et des normes de genre en dehors des centres urbains. En effet, interroger la mise à distance de l’homosexualité et les injonctions cisnormatives imposées par les pairs et la famille (Clair 2012a ; Bonté, 2022 ; Plouvier, 2023b) pourrait permettre de dévoiler les stratégies de contournement développées par les minorités de genre et de sexualité pour faire face aux injonctions à la cishétérosexualité. Questionner la distance avec la famille permettrait de saisir l’interrelation entre les vécus de l’homosexualité par exemple, la loyauté filiale et la solidarité intergénérationnelle, très présente chez les enfants d’immigrés maghrébins (Amari 2018). Sont donc encouragées des communications revenant sur la gestion des injonctions contradictoires, entre un moindre contrôle permettant d’entretenir avec plus de tranquillité son vécu LGBTQI+ et une nécessaire disponibilité auprès de la famille. Pour autant, et afin de ne pas réduire les vécus minoritaires à l’absence de ressources, et à la gestion permanente, on peut supposer des formes d’acceptation tacite des minorités de genre et de sexualité, qui permettent un entretien de pratiques sexuelles et/ou conjugales, mais nécessitant une gestion du dicible et du visible (Decena 2011 ; Amari 2018). Ainsi, comment le coming-out est-il perçu par les LGBTQ+ des territoires marginalisés ? Quels sont les effets des injonctions familiales sur sa réalisation ? Le coming-out implique-t-il nécessairement une annonce et une mobilité ? Globalement, comprendre ses normes et contraintes permettra d’investiguer les modes de vie. Les pratiques amoureuses et sexuelles LGBTIQ+ sont-elles donc cachées ? Les espaces extérieurs et masqués comme les parcs, les caves sont-ils surinvestis pour avoir des relations amoureuses et affectives ? En considérant que c’est l’usage qui définit les lieux (Blidon 2007), nous faisons par exemple l’hypothèse de l’existence de lieux gais clandestins, où les individus construisent leurs sociabilités sexuelles dans un espace et à des occasions précises. Dès lors, les communications pourront questionner les normes majoritaires et la vision du « placard » qu’elles produisent. Axe 2 : Mobilisations collectives LGBTQI+ : engagement territorialisé ou délocalisé des centres vers la périphérie ? Cet axe encourage les approches examinant les collectifs militants LGBTQI+ organisés, engagés dans des actions collectives contextualisées, qu’elles se déroulent dans des espaces publics ou privés. Dans ce cadre, nous envisageons les mobilisations au sens large, incluant celles qui émergent d’associations ou de collectifs plus ou moins informels. Il s’agit de penser les formes d’engagement des personnes LGBTQI+ et la transformation des luttes au-delà des grandes métropoles. En gardant à l’esprit les critiques effectuées à l’encontre de la dépolitisation des marches des fiertés dans les grandes villes européennes (Blidon, 2009 ; Kherbouche, 2022), nous pensons aux formes changeantes que prennent ces manifestations, réinventées, ou mobilisées dans un contexte territorial spécifique (marche des fiertés rurales ou des banlieues populaires en France). Les mobilisations collectives LGBTQI+ ne sauraient pour autant se limiter à l’étude des prides. Nous encourageons les communications qui portent sur les modes d’actions et les répertoires mobilisés, interrogeant la matérialisation des actions collectives, les manières de faire des entités militantes qui s’engagent contre les LGBTQI+phobies. Les revendications sont-elles en lien avec le territoire de l’action collective, adoptant un mot d’ordre actualisé et localisé ou reproduisent-elles par mimétisme celles des centres ? Portent-elles un interêt aux lois concernant la reconnaissance des couples de même sexe par exemple (Roca I Escoda, 2010) ? Celles-ci peuvent aussi aborder les espaces des mobilisations (Hmed, 2008), explorant les pratiques spatiales des organisations collectives : quels rapports à l’espace public et au territoire local ? Les espaces investis ne sont pas décorrélés d’enjeux de visibilité et prennent aussi en compte les espaces numériques. Plus largement, les travaux qui s’appuient sur les concepts des études des mobilisations comme les « carrières militantes » (Fillieule, 2020) sont intégrés à cet appel. Ainsi, les recherches qui visent à comprendre qui s’engage et/ou peut s’engager, quelles sont les venues au militantisme dans des contextes de marginalités (Misgav, Hartal, 2019), à quelles conditions et dans quelles configurations elles ont lieu sont les bienvenues. Enfin, que l’on envisage les mouvements sociaux comme un champ bourdieusien ou un espace (Mathieu, 2012), la dimension de concurrence entre les groupes est cruciale. Il s’agit alors de questionner et d’analyser les rapports entre les entités LGBTQI+ de l’action collective, également entre groupes lesbiens, gais et transgenres (Bouvard, Eloit, Queré, 2023). Quelles sont les collaborations acceptées, sous quelles conditions et quelles formes de concurrence existent dans les espaces marginalisés ? De plus, en faisant dialoguer ces territoires et ceux des centres urbains, il s’agit d’explorer la formation et le délitement d’alliances avec les autres mouvements LGBTQI+ mais aussi féministes (Chauvin, 2005) ou antiracistes qui existent au sein des centres des grandes métropoles. Axe 3 : Quels espaces fréquenter ? Faire lieu autrement, faire lieu ailleurs ? Cet axe souhaite examiner les multiples dimensions des espaces LGBTQI+, en explorant à la fois les nouvelles perspectives qu’ils offrent dans le contexte contemporain, mais aussi la dimension historique des lieux queer en dehors des centres. Cette redéfinition de l’espace queer, par le biais d’une résistance culturelle et d’une exploration artistique et politique, constitue le thème central de cette partie. Nous invitons donc les contributions interdisciplinaires examinant les dimensions sociales, culturelles et politiques des espaces queer. Depuis le texte de Michel Foucault sur les hétérotopies (Foucault, 1984), on voit naître des recherches questionnant les hétérotopies queer, qui interrogent les normes spatiales et sociales établies, proposant des espaces alternatifs qui transcendent les frontières conventionnelles de l’identité et de la sexualité. De même, l’inclusion des personnes LGBTQI+ à l'enjeu du « droit à la ville » interroge sur la place concrète de ces espaces (Duplan, 2022). Ces productions (Ségard, 2023), mais aussi lieux, parfois situés en marge, se présentent comme des territoires dynamiques propices à la diversité, à la contestation et à la réinvention des normes culturelles (Eleftheriadis, 2018). Ces lieux, historiquement situés au sein de quartiers définis, semblent connaître des mutations, dont notamment leur multiplication en dehors des centres, qui est aujourd’hui une de leurs caractéristiques majeures. En devenant des organisations au caractère rhizomatique, ces espaces viennent questionner ce qu’est un espace queer (Cattan, 2012 ; Prieur, 2015 ; Merabet, 2014). Par ailleurs, les vécus lesbiens nous invitent également à repenser la place des minorités de genre et de sexualité dans l’espace public, ainsi que la constitution des espaces LGBTQI+ et leur caractère durable ou éphémère (Clerval, Catan, 2011 ; Borghi, 2016 ; Hunter et Winder, 2019). Nous incitons alors les communications revenant sur l’émergence de ces nouveaux espaces : qui sont les organisateur·rices de ces lieux queer « alternatifs » ? Comment l’arrivée de ces événements en dehors des centres urbains (festivals, bars, centres LGBT, …) vient-elle modifier le paysage urbain et les relations entre habitant·es et acteur·ices associatifs et associatives et/ou militant·es (Sbicca, 2012 ; Plouvier, 2023a) ? Enfin, dans un contexte différent d’acceptation des minorités de genre et de sexualité et de rayonnement des quartiers homosexuels (Nash 2013 ; Ghaziani, 2014 ; Mattson 2015), il s’agira de voir comment les jeunes LGBTQ+ fréquentent ce type de quartiers, mais aussi de nouveaux lieux queer. Ressentent-ils/elles le besoin de les fréquenter ? Nous accueillerons volontiers les propositions revenant sur d’autres formes de traces queer dans l’espace, qu’il soit réel ou virtuel. Plus largement, au sein des espaces LGBTQ+, on constate depuis plusieurs années maintenant des discriminations à l’égard des personnes racisées (Manalansan IV, 2005 ; Prieur, 2015 ; Cisneros et Bracho, 2020). En France, cela était déjà le cas dès les années 1970-90, où certains dirigeants de boîtes refusaient ouvertement des personnes noires ou arabes (Martel, 1996). Ainsi, l’installation dans les territoires périphériques de lieux queer suffit-elle à brouiller les frontières de race et/ou de classe ? Les propositions pourront donc s’intéresser à la place des LGBTQ+ racisé·es au sein des espaces LGBTQ+ et/ou LGBTfriendly, aux assignations imposées avec lesquelles elles doivent faire (exotisation, fétichisation, exclusion, …), mais ne sont pas limitées à ces questions. |
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